LIDIJA KHACHATOURIAN vous présente AKKA Project

Marie-Jeanne Acquaviva, Le Petit Journal, 6 August 2019
Que vous soyez néophyte ou un habitué de la scène artistique Dubaïote, pourquoi ne pas pousser la curiosité un peu plus loin que les 15 galeries d’Alserkal : aujourd’hui lepetitjournal.com/dubai vous emmène à la découverte d’AKKA Project, un endroit vraiment pas comme les autres, une scène artistique méconnue, jeune et vibrante de surprises, avec à sa tête la fantastique Lidija Khachatourian, un parcours d’expat au long cours, fait de multiples déviations mais avec toujours l’art et la générosité à cœur.
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lepetitjournal.com/dubai : Comment êtes-vous arrivée à Dubaï?
Lidija Khachatourian : Comme beaucoup de femmes j’y ai suivi mon mari qui avait reçu une offre de travail pour ouvrir un bureau ici. Au bout d’un an il était naturel que je le rejoigne, avec nos deux enfants encore petits. Nous arrivons en 2008 depuis Lugano en Suisse, où j’exerçais le métier de comptable fédérale. À mes débuts je commence donc par travailler pour l’entreprise de Kristian, mon mari, en tant que comptable justement. Mais au bout de 5 où je dirige son département comptable, la société a pris de l’ampleur, et je me retrouve avec des journées doubles – j’ai un bébé à la maison, et la comptabilité n’est pas vraiment une activité que l’on peut exercer entre deux biberons (rires)! Bref: il trouve un autre comptable à plein temps, et moi je prends une pause…
 
C’est à ce moment-là que naît AKKA Project… entre deux biberons ?
(rires) : Disons que c’est une gestation lente mais oui, c’est à ce moment-là que commence le chemin qui va m’y amener. Au bout de quelques mois d’oisiveté je tourne en rond, ce n’est pas fait pour moi, et je m’ennuie. Notre vie ici est certes très agréable, mais j’ai envie de trouver un moyen de rendre justement ce qui m’a été donné,  un moyen d’aider les autres. Les régulations et les lois aux EAU concernant les organismes de charité sont strictes et complexes, et pour l’instant je n’ai rien de concret devant moi. Un peu par hasard je commence une activité avec mon fils Gabriel, un atelier de T-shirts : avec une série de pochoirs on propose des ateliers aux enfants qui viennent peindre leurs t-shirts et  repartent (grâce aux pochoirs) avec un résultat vraiment sympa. L’argent récolté par la vente des t-shirts à peindre est ensuite consacré à aider une école de Port Elisabeth (en Afrique du Sud) en lui faisant construire une bibliothèque. Au même moment, un extraordinaire cadeau de Noël! –  une autre école de la région ferme et offre une donation de plus de 3’000 livres : nous n’avions pratiquement plus qu’à installer les étagères ! Donc malgré les difficultés légales, du fait que je n’ai jamais levé de fond en direct mais uniquement vendu des objets et une activité, pour par la suite consacrer à titre privé le produit de ces ventes à une cause qui m’était chère, ce premier projet est un beau succès. Mais c’est difficile, je frappe à beaucoup de portes sans arriver nulle part, je dépends à 200% de moi seule, et je décide de me diversifier à nouveau.
 
De quelle  manière ?
Eh bien je décide de monter une sorte de société mère, avec une licence commerciale, qui me permettra de prendre sous mon patronage en quelque sorte d’autres personnes créatives, de les faire se rencontrer et de leur permettre de développer leur propre marque sous mon aile. Au départ ce projet ne devait proposer que purement et exclusivement des services, mais ce système de fonctionnement était un peu en avance par rapport à la communauté et à la société de Dubaï. Du coup je le fais évoluer vers une sorte de concept store, un endroit où donner une visibilité à des objets réalisés à la main, des objets uniques. J’aime ça mais je passe un temps fou à sourcer les produits en question. Ensuite avec le développement des marchés artisanaux et artistiques sur internet (comme Etsy, Little Majilis, etc.. ), cela perd un peu de son sens.
 
De nouveau une autre bifurcation qui se profile ?
Oui ! Mais cette fois le hasard entre en jeu : nous sommes en voyage à NY et au cours d’une ballade nous nous arrêtons dans une galerie : ils exposent des paysages en 3D spectaculaires, j’adore, nous en acquérons une pièce puis nous cherchons l’artiste sur internet et nous réalisons qu’il n’est pas vendu à Dubaï. Après l’avoir contacté nous lui proposons de le représenter dans la région et lui ouvrir ce marché, en deux jours le contrat est signé ! Et c’est comme ça que l’aventure a vraiment commencé : dans les faits je suis devenue son agent pour le Moyen Orient, et je lui ai trouvé des points de vente. Petit à petit nous avons ajouté d’autres artistes, souvent des personnes travaillant en trois dimensions et avec une approche vraiment particulière. Puis d’autres rencontres ont encore influencé nos projets
 
AKKA Project n’est pas une galerie comme les autres, dites-nous en plus :
En effet, pour comprendre notre fonctionnement il faut remonter à une période relativement récente où il semble que la jeune scène africaine soit à ce moment là sur toutes les chaines : CNN, BBC, beaucoup d’expositions en cours…Nous décidons donc de nous y lancer, par goût, par curiosité, par intérêt et de tenter cette nouvelle aventure entrepreneuriale en donnant une visibilité à ces artistes depuis Dubaï. Nous rencontrons alors Goncalo Mabundes au Mozambique qui travaille sur les reliques de la guerre civile pour en faire des sculptures anthropomorphiques ou des sièges spectaculaires : ses fameux « trônes », une image du pouvoir et de l’absurdité de la guerre. Au même moment à Dubaï je suis en train de m’occuper du dernier pop-up consacre à Charles Fazzino, et j’entends par hasard (une fois encore le hasard !) une femme discuter derrière moi disant qu’elle « est du Mozambique ». C’est une femme blanche d ‘un certain âge, et comme je viens de me lancer avec Goncalo, la mention du Mozambique attire mon attention. Nous lions connaissance, je lui dis que je pars le lendemain et nous échangeons nos contacts. Il s’agit de Barbara Hoffman, une suissesse qui vit au Mozambique depuis les années 90 et s’occupe – seule – d’un orphelinat qu’elle a fondé elle-même après avoir vendu et laissé derrière elle tout ce qu’elle possédait (plus d’information cliquez ICI). Elle va seule rassembler les enfants des rues et leur offre un toit et un une protection. C’est juste après la guerre civile, le pays est dévasté par la sècheresse, il n’y a rien à manger, elle me raconte que souvent elle-même ne se nourrit qu’une fois par semaine. Cette histoire se grave profondément en moi, non seulement pour le bien qu’elle fait autour d’elle mais surtout pour sa ténacité invraisemblable : elle tient bon, ne retournera jamais en arrière. Je n’arrête pas d’y penser, et de me dire qu’avec mes maigres capacités, je dois moi aussi être capable de faire quelque chose pour les autre.
 
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C’est là que vous vient l’idée de lier votre intérêt pour l’art Africain émergeant, et le travail de charité que vous souhaitez mettre en place ?
Oui, l’idée c’est de lancer un cercle vertueux : aller en Afrique sourcer des œuvres d’art, les acheter (ce que la plupart des galeries ne font pas : les artistes ne reçoivent en général un pourcentage que si l’œuvre est vendue) et financer ainsi de jeunes artistes dans le besoin. Je me fais un point d’honneur de ne jamais négocier les prix dès lors que l’artiste m’a convaincu par son travail. Puis à nous de leur trouver acquéreur à Dubaï, et l’argent ainsi récolté par la galerie va ensuite en partie aux œuvres de Barbara : c’est un cercle court, clair, vertueux, rapide : tout le monde y gagne. Grace à ces revenus Barbara achète immédiatement ce qui lui sert : des graines pour planter leur potager et devenir autosuffisants en cas de famines, des vêtements pour le froid, des panneaux solaires et deux pompes à eau – toujours le même souci d’autosuffisance – et le joyau de la couronne (rires) : un tracteur qui leur permet de travailler leurs champs mais qu’ils louent aussi à la communauté autour de l’orphelinat.
 
Quels rapports entretenez-vous avec vos artistes, vos liens doivent être particuliers ?
Le processus du choix des artistes est avant tout un choix d’émotion esthétique: Nous les représentons sur un marché qui a ses propres lois – particulièrement sévères –  et si mon cœur intervient certes, ce choix en soi n’est pas guidé par la charité.  Je prends mon temps, je les rencontre tous plusieurs fois après avoir vu leur travail – qui doit avant toute chose me plaire, provoquer une émotion profonde et le désir d’en savoir plus. Puis la construction de la relation humaine avec la personne derrière l’œuvre a tout autant d’importance, je veux percevoir l’âme derrière l’art, comprendre les aspirations qui l’animent. Et enfin il faut bien entendu que les pièces aient un potentiel, que je puisse comprendre comment les placer sur le marché, comment les vendre au mieux. C’est vraiment un ensemble de composants qui sont tous essentiels, l’un sans l’autre ne fonctionne pas, et chaque artiste que nous représentons a été méticuleusement choisi avec tous ces critères à l’esprit.
 
Aujourd’hui quels sont vos envies et vos projets avec AKKA ?
Nous voulons continuer à grandir et à rencontrer des personnes extraordinaires, comme tous les artistes que nous représentons aujourd’hui. Nous allons ouvrir AKKA en février à Venise, car c’est bien entendu une plateforme très importante pour l’art contemporain. Notre ambition est à la hauteur de ce continent immense, et nous voudrions qu’AKKA devienne un point de référence pour l’art africain contemporain, Bien entendu nous ne sommes ni les premiers (regardez la collection de Jean Pigozzi commencée dans les années 80) ni les plus grands : le MOCA par exemple (zeitzmocaa en Afrique du Sud, NDLR) est un projet incroyable ! Et bien entendu c’est un marché déjà plus développé en Europe, en particulier en France en raison de liens séculaires avec l’Afrique de l’Ouest, ou encore à Genève. Mais la région s’ouvre petit à petit à d’autres marchés, il suffit de voir par exemple l’ouverture de l’Asian Contemporary art Week, un signe d’une nouvelle curiosité pour des univers différents.
 
En quoi le fait d’avoir lancé AKKA depuis Dubaï  a-t-il eu une influence sur le projet final ?
Je dirai que c’est surtout une ville qui m’a permis de me réinventer dans un métier qui n’était pas le mien, et que cette liberté je ne l’aurai eue nulle part ailleurs. C’est un des aspects les plus positifs de Dubaï : chacun et surtout chacune est libre de se lancer dans n’importe quelle entreprise, sans pour autant être jugée à mal par ses pairs ou par les soit disant experts du métier, qui n’importe où ailleurs m’auraient dévorée toute crue (rires) ! Cette perméabilité entre les carrières est vraiment quelque chose que je n’ai observé nulle part ailleurs et c’est aussi quelque chose dont les femmes devraient plus profiter : nous sommes très douées pour nous freiner nous-même, tandis que Dubaï est précisément généreuse en ce sens : elle ouvre les portes et le champ des possibles, et même si le chemin est tortueux et difficile, au moins il est ouvert !
 
Quels évènements à ne pas manquer en ce moment avec AKKA ?
Le « Quoz Arts Fest », un Festival dans tout Al Quoz le 25 et 26 janvier, où nous allons présenter des ateliers autour du recyclage et en particulier de la réutilisation par des artistes du plastique jetable (comme les sacs en plastiques, les bouteilles, les capsules etc…). C’est un matériau très utilisé par les jeunes artistes africains qui s’expriment avec ce qu’ils trouvent en abondance, tout en faisant passer le message du recyclage. Puis du 1er au 28 février une exposition « Behind the Lens » (« derrière la caméra » – ndlr) assortie d’ateliers où rencontrer les artistes qui va présenter successivement trois photographes (photographe conceptuel, photojournaliste ou documentariste) : Teddy Mitchener, Mario Macilau et Mo Amin, trois regards uniques, différents et complémentaires sur notre monde.
 
Un mot sur « votre Dubaï » après toutes ces années ?
La simple liberté d’aller marcher seule sur la plage après une longue journée de travail…
 
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Samedi 10:00-18:00, les autres jours sur rendez-vous uniquement
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